Entretien avec Lauren Stern Kedem

Enseignante à Meir Shfeyah, Lauren témoigne de l’importance de l’unité et de la solidarité face à l’adversité.

Le Village Meir Shfeyah

Meir Shfeyah est un village fondé en 1883 par Edmond Rothschild. Situé non loin de la Méditerranée, entre Haïfa et Césarée, le village a initialement fourni un logement à des agriculteurs juifs roumains.

Durant les pogroms d’Europe de l’Est au tournant du XIXe siècle et pendant la Première Guerre mondiale, il a servi de refuge pour des orphelins et des populations déplacées. En 1925, Edmond Rothschild le confie à Henrietta Szold, fondatrice de l’Organisation sioniste des femmes Hadassah d’Amérique. Il devient alors un abrit pour sauver des orphelins et des réfugiés de l’Allemagne nazie.

Dans les années 1970, lorsque l’immigration en Israël a diminué, le village a commencé à accueillir des jeunes Israéliens de deuxième génération à risque.

À partir des années 1990, le village a commencé à accueillir des enfants d’Éthiopie et de Russie.

Ce village a toujours eu des enfants arabes et musulmans. De fait, Shfeyah a toujours été un phare de paix et d’intégration. Aujourd’hui, le village perpétue sa tradition d’inclusion, tout en éduquant la jeunesse et en travaillant la terre via ses activités agricoles.

Rencontre avec Lauren Stern Kedem

Lauren est née à Brooklyn et a grandi aux États-Unis sans aucune éducation religieuse ou sioniste. À 20 ans, elle rend visite à sa sœur en Israël. Son premier voyage ne lui laisse pas un souvenir impérissable.

Près de deux ans après son premier voyage mitigé, elle retourne à Jérusalem pour un séjour de six mois. Cette fois-ci, une connexion profonde se tisse entre elle et le pays. Elle ressent un lien unique avec la terre et ses habitants, une impression de trouver un sens à sa vie.

De retour aux États-Unis, elle est confrontée à une réalité décevante. Le contraste avec son expérience en Israël est saisissant et elle se sent désillusionnée. Ce désenchantement, accentuée par la prise de conscience de l’antisémitisme latent qui l’entoure, la conforte dans son désir de revenir à Jérusalem.

Sa décision est prise : elle fera d’Israël son nouveau domicile.

Poussée par un désir de comprendre ses origines, elle s’est plongée dans l’histoire juive, s’appropriant les récits d’Israël, de la Seconde Guerre mondiale et de l’identité juive. Son installation en Israël a marqué le début d’une transformation profonde. Son immersion dans la vie du kibboutz a créé un lien indéfectible avec sa nouvelle terre d’accueil. L’apprentissage de l’hébreu et sa participation active à la vie communautaire lui ont permis de s’acclimater et de trouver un sentiment d’appartenance. C’était il y a près de 40 ans.

Elle qui dispose d’une formation d’enseignante spécialisée en éducation d’enfants handicapés, découvre Meir Shfeyah 10 ans après être arrivée en Israël. Au cours des 30 dernières années, elle a été impliquée dans ce qui est devenu sa deuxième famille. Elle a vu la communauté de ce village évoluer avec les différentes vagues d’immigration et les tensions avec les voisins d’Israël.

Le 7 octobre

Au matin des attaques, Lauren est chez elle. Comme chaque matin, elle s’est levée avec les nouvelles et a appris les attaques de roquettes venues de Gaza. Une de ses amies à Kfar Aza, un kibboutz en bordure de la bande de Gaza, lui a dit qu’elle est dans son abri. Chaque logement en Israël dispose un abri anti-bombes sous la forme d’une pièce à l’intérieur de l’appartement ou au sous-sol du bâtiment.

Le regard de Lauren trahit l’incompréhension de l’époque. Personne ne pouvait cerner l’ampleur du chaos qui se déroulait. Pour elle, ce n’était qu’une énième attaque, une parmi tant d’autres. Son amie, retranchée chez elle avec sa sœur à proximité de Gaza, vivait une journée d’effroi. Débordées, les forces de l’ordre et l’armée ne parvenaient à endiguer la violence. Il fallut attendre trente-six longues heures avant que l’amie de Lauren ne soit enfin secourue.

L’angoisse s’intensifiait à chaque regard jeté sur les images diffusées par les médias. En ce samedi matin, des vidéos insoutenables montraient des terroristes s’en prenant à des civils innocents près de Sderot, à quelques kilomètres seulement de Gaza. C’est là que Lauren comprit qu’il ne s’agissait pas d’une simple attaque, mais d’un événement d’une ampleur inédite.

Les jours qui suivirent confirmèrent l’impensable : la promesse d’Israël d’offrir un refuge sûr aux Juifs était ébranlée. Lauren le savait, si la situation devait se dégrader davantage, elle n’aurait qu’un seul souhait : se retrouver au village de jeunes de Meir Shfeyah, auprès des enfants et de ceux qui œuvraient au sein de cette communauté.

La première semaine fut recluse. Lauren se calfeutrait dans son appartement, happée par un flot incessant d’appels téléphoniques. La peur de s’aventurer sur les routes la tenaillait. Mais au bout de sept jours, l’enfermement devint intolérable. L’air lui manquait, ses pensées l’étouffaient.

L’école du village, fermée après l’attaque, rouvrit ses portes une semaine plus tard. C’est alors que Lauren prit la décision de retourner à Shfeyah. L’urgence de se sentir utile la consumait, à l’unisson avec le pays tout entier. Un enseignant ayant quitté son poste, elle n’hésita pas et se porta volontaire pour deux mois. Reprenant la classe de ces enfants, elle trouva dans cette expérience le salut dont elle avait tant besoin.

Dès son arrivée, elle fut bouleversée de constater que les enfants, malgré le contexte tragique, s’évertuaient à simplement être des enfants. Absorbés par leurs téléphones, riant et discutant entre eux, ils insufflaient à Lauren une bouffée d’espoir et de courage. La normalité, si fragile en ces temps d’horreur, trouvait refuge dans l’insouciance de l’enfance.

Et l’après…

Depuis le 7 octobre, un changement palpable s’est pourtant opéré. Si chacun le vit différemment, un sentiment commun traverse tout Israël. Ces dernières années, Lauren était devenue cynique envers la politique locale, et franchement contrariée par l’état de la démocratie dans son pays. Ce qui lui est apparu comme une évidence après le 7 octobre, c’est que les responsables de la sécurité d’Israël avaient failli à leur mission.

Depuis ce jour, elle est pourtant retombée amoureuse d’Israël.

La voix brisée, les larmes aux yeux, elle raconte combien elle a été impressionnée, émue et fière de la mobilisation pour l’entraide. Sa compréhension de ce qu’est Israël s’est éclaircie d’une manière inédite. Même si les désaccords subsistent sur la marche à suivre, un sentiment de compassion et de sollicitude mutuelle est tangible. C’est ce que font les Israéliens face à l’adversité.

La réaction des Israéliens ordinaires est remarquable. La population a relevé le défi, se mobilisant immédiatement pour porter secours. Chacun a compris qu’ils étaient tous dans le même bateau et qu’ils devaient se serrer les coudes.

« Nous avons désespérément besoin d’espoir et de positivité. Il n’y a eu aucune nouvelle positive depuis la dernière libération d’otages. Les gens sont très déprimés. Les Israéliens en général, et surtout les familles, prient pour que cela se termine », dit-elle avec émotion.

« Je ressens que nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour ramener les 136 otages. Si nous échouons, nous aurons de nouveau failli. Nous ne pourrons pas vivre avec nous-mêmes si nous ne les récupérons pas. Le Hamas va nous manipuler, et il y aura des surprises à cause de leur cruauté. Les prochaines semaines seront difficiles, mais nous prions tous pour que les otages commencent à rentrer chez eux. »

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